Actualités

Publications

Indemnisation du dirigeant personne morale victime d’une révocation abusive – Lettre d’information de septembre 2022

Lettre d’information de septembre 2022 – Fusions & Acquisitions / Private Equity / Droit des sociétés

Dans le silence de la loi, les conditions dans lesquelles un dirigeant d’une société par actions simplifiée peut être révoqué sont librement fixées par les statuts tant concernant les causes de révocation que les modalités selon lesquelles la révocation peut être décidée. Il est ainsi possible de prévoir que le dirigeant est révocable à tout moment et sans juste motif.

En tout état de cause, la révocation des dirigeants ne saurait être abusive. Le cas échéant, les dirigeants peuvent   obtenir une indemnisation.

La révocation revêt un caractère abusif dans deux hypothèses :

-lorsque la révocation est accompagnée de circonstances vexatoires ou injurieuses, c’est-à-dire portant atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant ;

– lorsque la révocation intervient brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté et le principe du contradictoire dans l’exercice du droit de révocation, autrement dit lorsque le dirigeant n’a ni eu connaissance des motifs de sa révocation, ni été en mesure de présenter ses observations avant que la décision de
révocation ne soit prise. Par un arrêt du 30 mars 2022 la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est interrogée sur la question de l’indemnisation d’un
dirigeant personne morale suite à la révocation de son mandat de président d’une société par actions simplifiée dans des conditions brutales et vexatoires ¹

En l’espèce, la société A ( est révoquée de son mandat de président de la société B ( Les statuts de la société B stipulaient que le président pouvait être révoqué à tout moment, sans juste motif et sans indemnité.

La société A et son gérant (Monsieur X) sollicitent la réparation de leurs préjudices en raison notamment :

-de la révocation de la société A dans des conditions estimées brutales à défaut du respect de l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation, Monsieur X ayant été informé du projet de révocation de la société A de son mandat de président la veille de l’assemblée appelée à se prononcer sur ladite révocation ne lui permettant pas de disposer d’un temps raisonnable pour préparer sa défense et;

-du refus opposé à Monsieur X d’accéder aux locaux de la société B, du blocage de ses outils de travail ( ligne téléphonique, carte bancaire) et de la communication réalisée auprès du personnel concernant son départ consécutivement à la décision de révocation de la société A

Bien que la Cour d’appel de Versailles ait jugé que la société B n’avait pas respecté son obligation de loyauté et qu’elle devait donc réparer le préjudice causé à Monsieur X et à la société A, elle n’a octroyé une indemnisation qu’à Monsieur X au titre d’un préjudice de réputation La société A était déboutée de sa demande
d’indemnisation au motif qu’elle ne démontrait pas « l’existence d’un préjudice propre » (²).

Monsieur X et la société A ont fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation de la société B à la seule réparation du préjudice de Monsieur X.

La Cour de cassation, sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle pour faute (3) reproche à la Cour d’appel d’avoir cantonné l’indemnisation au seul gérant personne physique de la société A alors même que la Cour d’appel avait retenu que la société B, n’ayant pas respecté son obligation de loyauté, devait réparer le préjudice causé à la société A.

Il ressort des termes de l’arrêt que tout manquement au principe de loyauté caractérise un préjudice réparable mais son originalité réside dans l’identification de la victime de la révocation abusive.

La censure de la Cour de cassation est pleinement justifiée dans la mesure où la société A, en sa qualité de président de la société B, est la victime directe de la révocation abusive et doit ainsi pouvoir être indemnisée à ce titre. En effet, sa qualité de personne morale ne peut constituer un obstacle à son indemnisation, toute personne morale pouvant se prévaloir d’un préjudice moral afin d’en obtenir réparation (4).

La Cour de cassation reconnait ainsi le droit à indemnisation du dirigeant personne morale victime d’une révocation abusive, le manquement au principe de loyauté dans l’exercice du droit à révocation constituant un préjudice moral réparable.

Par ailleurs, la chambre commerciale ne remet pas en cause l’indemnisation de la victime indirecte, le représentant personne physique de la société B, accordée par la Cour d’appel consécutivement à la reconnaissance d’un préjudice moral de réputation à raison des mesures prises à son encontre suite à la révocation de la société A, préjudice personnel et distinct de celui de la société A.

La prudence est donc de rigueur dans l’exercice du droit de révocation des dirigeants et le choix des modalités entourant la décision de révocation Il est recommandé d’éviter toute situation qui pourrait être caractérisée comme abusive tant à l’encontre du dirigeant personne morale que de ses représentants légaux au risque d’être condamné au paiement d’une double indemnisation Si l’intérêt social exige un départ immédiat du dirigeant révoqué, cela devra être précisément identifié dans la décision sociale de révocation.

 

Références citées :

¹ Cass com 30 mars 2022 n°19-25 .794 

² CA Versailles, 17 octobre 2019 n° 18-06.984
3 Article 1240 du Code civil « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »
4 Cass com 15 mai 2012 n°11-10.278

 

 Télécharger la lettre d’information 

Publications